Extrait
En France on sait recevoir
La première maison de la République, le Palais de l'Élysée, doit être à la hauteur de cette réputation partagée.
Le président de la République ne reçoit pas par plaisir ou par principe, il reçoit dans l'intérêt de la Nation, soit pour des dîners ou des déjeuners de travail, souvent sobres, rapides mais toujours d'excellentes tenues, soit plus rarement pour des dîners officiels ou des dîners d'État, spectaculaires et d'une certaine manière fastueux afin de montrer à un chef d'État ou de gouvernement étranger l'estime dans laquelle la France le tient. Bien recevoir c'est d'abord honorer l'hôte et ceux qui l'accompagnent mais c'est aussi s'honorer soi-même en montrant le degré d'élégance et de raffinement auquel est parvenu la société française. Il s'agit tout à la fois d'impressionner et de mettre en confiance, bref de susciter de l'émotion, de créer un moment unique, mémorable, autour d'un repas en commun, qui laissera un souvenir durable chez ceux, Français et étrangers, qui l'auront vécu.
Cela suppose une excellente nourriture autour de plats recherchés mais typiquement français, accompagnés de vins remarquables; cela suppose aussi une excellente organisation, un protocole huilé, une logistique parfaite. Une fois la réception terminée, le moment féerique achevé, il en reste, pour témoigner qu'elle fut, le menu et c'est autour de l'exceptionnelle collection de menus présidentiels réunis avec soin par Jean-Maurice Sacré que ce livre est construit.
Mais quest-ce qu'un menu ?
C'est d'abord la description imagée et poétique de mets et de vins, qui doit être exacte et mystérieuse à la fois. Comme les convives n'ont pas le choix des plats, il ne s'agit pas de les éclairer mais d'ajouter à la saveur des mets la magie des mots. Le menu est en français, même hors de France et, seule de toutes les cours d'Allemagne, la cour de Prusse imprimait ses menus en allemand jusqu'en 1918. La recherche d'originalité va parfois loin et le «Hérisson périgourdin au nid» du dîner du 10 avril 1957 inquiéta beaucoup la Reine Elisabeth II. Un menu c'est aussi un livret, comme un programme d'Opéra, qui participe du spectacle, du décor en quelque sorte. Nous voyons ici l'évolution d'un style qui peut être sévère, gracieux, allégorique ou martial, suivant les époques et suivant les personnalités des présidents successifs. Il n'est pas surprenant que de grands artistes, des stylistes, des graveurs, des décorateurs de théâtre aient contribués à ces compositions. Un menu c'est encore un document historique, le témoin fragile, souvent sur papier, plus rarement sur tissu, d'un moment politique exceptionnel. Collectionneur moi-même, je constate que très nombreux sont les convives qui, à l'issue d'un dîner ou d'un déjeuner à l'Élysée, conservent le menu en souvenir d'un moment d'exception. Ce souvenir peut même devenir la relique d'une page de grandeur comme les menus de la visite du Président Kennedy au général de Gaulle en mai 1961 ou de tragédie comme le menu du dîner du Président Sadi-Carnot à Lyon le 24 juin 1894, qu'il quitta pour se faire assassiner.
A l'occasion d'un dîner d'État, le menu présidentiel comprend en fait quatre parties ; prenons en exemple le menu du dernier repas illustré dans cet ouvrage, celui du dîner du 2 mars 2011 offert au président Jacob Zuma d'Afrique du Sud :
° une couverture originale, des fleurs et des fruits aux couleurs de l'Afrique du Sud, tirée par l'Imprimerie nationale d'une gouache d'Eric Paré. Même si le président de la République choisit souvent la sobriété des Armes de la République, toutes romaines d'inspiration, pour le quotidien de ses menus, il ne s'interdit pas régulièrement des choix originaux.
° Le texte imprimé sur grand papier avec les plats et les vins, «Asperges vertes, mousseline et truffes fraîches râpées», «Dôme de filet de veau au foie gras» ou «Émotion chocolat aux épices douces», «Condrieu 2005» ou «Vosne Romanée 1995».
° Le programme musical choisi dans le répertoire international, français et sud-africain avec, en signe de mémoire, une chanson de la Reine Hortense, grand-mère du Prince impérial, mort en 1879 au Zoulouland.
° Enfin les deux toasts prononcés par les chefs d'État, traduits dans la langue de l'autre, pour éviter les longues interprétations consécutives.
De fait, lors de ces dîners et déjeuners, la diplomatie et la politique ne sont jamais loin et les pages suivantes vous parleront d'entente cordiale franco-britannique, d'amitié franco-américaine, d'alliance franco-russe ou de réconciliation franco-allemande. Qu'il s'agisse d'accueillir des hôtes célèbres ou moins connus, à l'occasion de visites, de conférences, de sommets ou simplement de réunions de travail, c'est dans l'intérêt de la France et des Français que ces manifestations sont organisées.
En attendant, savourez ce livre avec gourmandise ; il fait rêver et témoigne à sa manière de la grandeur du savoir-vivre français.
Laurent Stéfanini, ambassadeur chef du Protocole, secrétaire général de la présidence française du G20 et du G8
